Le monde englouti par les logiciels: au tour de l'industrie|

Michael Risse, directeur marketing et vice-président de Seeq Corporation explique dans cet article pourquoi nous sommes à l'aube d'un bouleversement de l'ordre établi, provoqué par les fournisseurs de logiciels

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En août 2011, Marc Andreessen, cofondateur de Netscape (première entreprise commerciale de l'histoire consacrée à la vente d'un navigateur Internet) et de la société de capital-risque Andreessen Horowitz, publiait un article dans le Wall Street Journal intitulé « Why software is eating the world » (Les logiciels sont en train d'engloutir le monde). Andreessen Horowitz ayant investi dans Facebook, Slack et GoodStory Data, cette société est très bien informée en matière de logiciels et de disruption. La thèse exposée dans cet article était la suivante: Un nombre croissant de grandes entreprises et de secteurs d'activité sont gérés à l'aide de logiciels déployés sous forme de services en ligne, du cinéma à l'agriculture en passant par la défense. Les principaux bénéficiaires de cette évolution sont de jeunes entreprises technologiques, à l'image de celles de la Silicon Valley, qui envahissent et renversent les structures sectorielles établies. Au cours des dix prochaines années, il y a fort à parier que d'autres secteurs seront bouleversés par les logiciels, la plupart du temps sous l'impulsion de nouvelles sociétés de la Silicon Valley qui battront tous les records. Pourtant, au cours des sept ans qui se sont écoulés depuis, le monde de l'industrie n'a pas succombé au modèle prédit par Marc Andreessen. Le marché des logiciels industriels n'a pas subi de disruption majeure comparable à la déroute de Blockbuster face à Netflix ou de Barnes & Noble face à Amazon. 



La situation va bientôt évoluer


Comme le rapportent le Wall Street Journal, le Financial Times et The Economist, depuis l'été dernier, les logiciels venant bouleverser l'ordre établi des fournisseurs traditionnels s'attaquent au marché industriel. Google, Amazon et Microsoft ont annoncé leur intention de proposer des services de stockage de données et connexes au secteur des hydrocarbures et à d'autres industries de process. Il convient de préciser qu'il ne s'agit pas de mises en œuvre de systèmes de contrôle distribué dans le cloud destinés au contrôle en temps réel, ni d'autres visions futuristes. Nous parlons ici de services cloud de stockage, d'analyse et de gestion des données industrielles. Leurs fournisseurs avancent que le rassemblement des données dans le cloud les rendra plus accessibles, et facilitera ainsi la transformation digitale et l'analytique appliquée à plusieurs usines, synonymes d'enseignements de meilleure qualité et de production optimisée. De plus, il faut bien comprendre que les données industrielles représentent un marché juteux pour les fournisseurs de services cloud. Selon le rapport de McKinsey & Company de 2011 sur les Big Data, le secteur de la fabrication produit deux fois plus de données que le deuxième secteur vertical le plus important (l'administration).
Outre les gros titres dans l'actualité, les salons professionnels témoignent eux aussi de l'intérêt suscité par les données industrielles auprès des grands fournisseurs de logiciels. Ainsi, pour la première fois en 2019, Google, Amazon et Microsoft étaient présents en nombre à la CERAWeek organisée par IHS, et les trois géants embauchent en ce moment des profils affichant une expérience dans le secteur des hydrocarbures pour renforcer leurs effectifs ayant fait leurs classes chez GE, AVEVA et d'autres fournisseurs. Vous recherchez un emploi? Plus de 50 postes de responsable commercial ayant une expérience des hydrocarbures sont à pourvoir chez Amazon Web Services.

 

Objectif: stocker les données industrielles dans le cloud

 

Concrètement, par quoi l'engloutissement du monde de l'industrie par les logiciels se traduira-t-il? L'objectif des entreprises de plateformes logicielles est de proposer des services de stockage des données industrielles dans le cloud. Nous l'avons dit, il s'agit d'un marché colossal. De plus, en vertu du phénomène de « gravité des données », ceux qui les stockent peuvent proposer des services auxiliaires: gestion des données, sécurité, décisionnel, etc. Face à cette évolution, les fournisseurs de systèmes d'automatisation traditionnels, qui tiennent les données de leurs clients en otage et essayent de les tenir à l'écart des autres fournisseurs et solutions analytiques, vont devoir réviser leurs pratiques commerciales. 
Ce n'est pas si surprenant, car le matériel et les logiciels propriétaires qui excluent toute concurrence potentielle sont la norme dans le secteur de l'automatisation, dont les offres sont traditionnellement intégrées à la verticale. Ce n'est pas pour rien qu'ExxonMobil a investi dans Lockheed pour mettre en œuvre des programmes de développement d'un système de contrôle ouvert: aujourd'hui, les systèmes n'ont rien d'ouvert. 


Quels sont les autres aspects de la disruption?

 

Pendant des années, les fournisseurs de solutions d'automatisation industrielle ont évité les baisses de prix considérables sur le marché de l'informatique grand public et professionnelle liées à la création, à la collecte, au stockage et au calcul des données. Aujourd'hui, la concurrence par les prix fait son apparition sur les marchés industriels. Il suffit pour s'en convaincre de songer à Jeff Bezos. Le PDG d'Amazon a ainsi eu ce bon mot qui a fait grand bruit: « Votre marge, c'est mon opportunité ». 
À titre d'exemple, Amazon a affirmé que ses futurs services de données en séries temporelles Timestream seraient dix fois moins chers que leurs concurrents actuels. De plus, leurs tarifs seront clairement annoncés pour tous les clients, à l'image de ceux des autres services AWS, ce qui introduira de la transparence, mais aussi de la concurrence par les prix, sur le marché de l'automatisation industrielle.
Enfin, la disruption aura un impact sur le modèle pour les fournisseurs de solutions d'automatisation en ce qui concerne les attentes en termes d'interopérabilité et d'ouverture entre les systèmes. L'univers des logiciels se développe grâce à la coopétition, en vertu de laquelle des rivaux se voient contraints de collaborer. Par exemple, AWS affirme exécuter bien plus d'instances de Microsoft Windows Server sur des machines virtuelles AWS que Microsoft lui-même n'en exécute sur Azure. Ainsi, malgré le fait qu'Amazon AWS soit concurrent d'Azure, AWS contribue à l'exécution des services destinés aux clients de Microsoft. De la même façon, Microsoft rivalise avec Oracle sur le marché des bases de données, mais coopère avec cette entreprise dans le cadre de la concurrence avec AWS. Si la politique donne parfois lieu à des alliances contre nature, celles-ci ne sont rien comparées aux bizarreries des relations de coopétition dans l'univers informatique.

 

Deux concurrents sur le même stand?


Pour illustrer la différence entre les marchés de l'automatisation industrielle et des logiciels, prenons l'exemple des conférences d'utilisateurs organisées par un seul fournisseur. La présence d'un stand AVEVA lors d'un événement Rockwell et vice-versa serait totalement incongrue, car il s'agit de deux concurrents. 
Pourtant, lorsqu'on accède à l'Apple App Store, les concurrents de la marque à la pomme sont partout : Google Maps face à Apple Plans, Microsoft Office contre la suite iWork ou encore Spotify non loin d'Apple Music. Mieux encore, des événements de développeurs Apple, auxquels des salariés de la marque à la pomme participent, sont organisés spécialement pour faciliter ces initiatives concurrentielles sur iOS. 
Telle est la coopétition, qui voit les fournisseurs de logiciels considérer qu'il vaut mieux garder un montant modeste de chiffre d'affaires plutôt que de tout perdre lorsqu'un client décide d'aller chercher une meilleure expérience ailleurs. Encore une fois, à ce stade, il ne s'agit pas d'un problème d'application matérielle ou de fabrication, mais d'une offre d'un fournisseur de logiciels visant à transférer les données dans le cloud pour améliorer leur accessibilité et leur utilisation. 
Les fournisseurs de solutions d'automatisation ont bénéficié d'un avantage considérable pendant des années sur le marché du stockage des données, car ces dernières étaient générées par leurs propres composants, capteurs et applications logicielles. Nous sommes désormais à l'aube d'un bouleversement de l'ordre établi, provoqué par les fournisseurs de logiciels qui créent des attentes inédites en termes de coût et d'interopérabilité sur le marché du stockage cloud et de l'analytique. Cette disruption ne fait que commencer. Elle va pénétrer le secteur sur plusieurs années, par vagues successives d'acceptation et d'adoption de nouvelles offres logicielles par les clients. 

 

Alain DieulLa mission de PEI est de fournir à ses lecteurs des informations sur les nouveaux produits et services liés au secteur de l'industrie et qui sont disponibles sur le marché français. 

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